Alcool et foie

Page mise à jour le 10/11/2014
Auteur : 
Dr. Rodolphe Sobesky, Claire Mony

Les personnes ayant une consommation excessive d’alcool endommagent plusieurs systèmes au sein de leur organisme. Parmi les complications de l'abus d'alcool, les maladies du foie sont les plus fréquentes car le foie est le principal organe assurant la transformation de l'éthanol contenu dans les boissons alcoolisées.

Que devient l'alcool dans l'organisme ?

L'éthanol est presque entièrement absorbé par le tube digestif. Une très faible partie (moins de 10%) est éliminé directement par le rein (dans les urines) et les poumons (dans l'air expiré); la plus grande partie est conduite au foie, où la molécule est oxydée. L'hépatocyte - cellule du foie - contient les principales voies métaboliques de l'éthanol. L'éthanol y est transformé en acétaldéhyde, un métabolite hautement toxique. L’acétaldéhyde se fixe ensuite aux protéines, aux lipides et à l’ADN, et forme ainsi des produits qui vont altérer le fonctionnement des cellules. L’acétaldéhyde peut ainsi affecter les fonctions de nombreux tissus mais ses effets sont plus marqués au niveau hépatique.

Stéatose, fibrose, cirrhose ...

Au niveau du foie, la première conséquence de la consommation chronique d'alcool est la stéatosedépôt de graisses à l'intérieur des cellules hépatiques. Ces graisses sont des triglycérides, qui circulent dans le sang à des taux anormalement élevés chez les consommateurs excessifs d'alcool en raison de l'altération des processus métaboliques des acides gras. Le foie stéatosique augmente de volume : on parle alors d'hépatomégalie. La stéatose régresse en principe à l'arrêt de la consommation d'alcool.

Si la consommation d’alcool se poursuit, une inflammation peut apparaître, liée à la réaction du système immunitaire, et une nécrose (destruction) des cellules du foie. Ce processus aboutit à la formation d'un tissu cicatriciel appelé fibrose. En s'aggravant, la fibrose modifie totalement le tissus hépatique, le foie devient dur, pierreux : c'est la cirrhose.

C’est au stade de cirrhose qu’apparaissent en général les complications sévères de la maladie alcoolique du foie. La circulation du sang dans le foie, qui doit pouvoir se faire à un débit élevé, est entravée par la cirrhose : cela peut entraîner une hypertension portale et l'apparition de varices dans l'oesophage, qui peuvent se rompre en entraînant une hémorragie digestive. La cirrhose et l'hypertension portale sont souvent associées à une ascite (accumulation de liquide dans l'abdomen).  En outre, le tissus hépatique étant déstructuré, le foie ne peut plus assurer normalement ses fonctions, notamment son rôle d'épuration du sang: un ictère (jaunisse) peut apparaitre. Enfin, la cirrhose peut évoluer vers une complication redoutable: le cancer du foie.

En France, la majorité des cirrhoses (75 % des cas) est due à la consommation d'alcool. Les autres causes de cirrhose (hépatites virales notamment) restent très minoritaires. La maladie hépatique alcoolique est d'autant plus dangereuse qu'elle reste longtemps silencieuse et ne se manifeste souvent qu’à un stade avancé.

L'Hépatite alcoolique aiguë

Photographie microscopique d'un fragment de tissu hépatique caractéristique d'une hépatite alcoolique aiguë.
Le cliché met en évidence des zones de nécrose avec inflammation à polynucléaires neutrophiles (violet), des corps de Mallory (rouge), des hépatocytes stéatosiques et une fibrose sinusoïdale.

L'hépatite alcoolique aiguë survient chez environ 20% des personnes ayant une cirrhose due à l'alcool. C'est une atteinte hépatique très sévère. A la différence d'une décompensation "habituelle" de la cirrhose, en cas d'hépatite alcoolique aiguë, l'inflammation se poursuit souvent malgré l'arrêt de l'alcool.

Le sevrage en alcool reste cependant une priorité absolue. En fonction de la gravité de l'état du patient, qui est mesurée par le degré d'ictère, le contrôle du fonctionnement du foie et celui du rein, un traitement par corticoïdes peut être envisagé.  Les non-répondeurs au traitement par corticoïde ont une mortalité élevée. La plupart des décès survenant durant les deux premiers mois, seule une transplantation hépatique en procédure accélérée pourrait être efficace.

Dans une étude préliminaire (Mathurin et al, NEJM 2011), il a été montré que chez certains patients souffrant d’un premier épisode d’hépatite alcoolique sévère et ne réagissant pas au traitement classique, une transplantation hépatique précoce - sans attendre le délai de 6 mois d'abstinence alcoolique habituellement respecté - améliore le taux de survie de façon considérable. Cette option, qui est cours d’évaluation, concerne des patients très sélectionnés, bien insérés sur le plan social, avec un bon encadrement familial, capables d’avoir un suivi psychologique et addictologique après la transplantation. 

Les doses dangereuses

La toxicité de l’alcool sur le foie peut s’exprimer à partir de doses qui peuvent apparaître peu élevées. Le seuil de consommation au-delà duquel le risque pour la santé devient important est de 20 à 40 grammes d’alcool par jour - 2 à 4 verres - chez la femme et de 40 à 60 grammes d’alcool - 4 à 6 verres- par jour chez l’homme.

Le Binge Drinking (qu'on traduit parfois en français par "biture express", "alcool défonce") désigne l'absorption massive d'alcool, généralement en groupe, visant à provoquer l'ivresse en un minimum de temps. Ce phénomène, qui touche en particulier les jeunes, inquiète les spécialistes qui ont démontré un lien direct entre le développement de cette pratique et l'augmentation du taux de cirrhose dans certains pays d'Europe occidentale. 

Soigner la maladie alcoolique

La prise en charge du patient souffrant d’une maladie alcoolique du foie vise en premier lieu la diminution ou l’arrêt de la consommation d’alcool. Un suivi en centre d'addictologie, une aide psychologique et sociale sont souvent nécessaires pour lutter contre cette dépendance aux ressorts complexes.

Les médicaments aidant au sevrage alcooliques bénéficient d'une recherche active et sont de plus en plus nombreux. Les molécules utilisées actuellement interviennent dans le circuit cérébral de la récompense; leur efficacité reste très variable selon les patients. L'acamprosate (Aotal) et la naltrexone (Revia) sont les plus utilisés actuellement en France. Le baclofène est connu du grand public car son efficacité dans l'aide au sevrage avait été rendue publique par le Dr. Olivier Ameisen qui l'avait testé sur lui-même avec succès (son livre, Le Dernier Verre, est paru en 2008). Le baclofène bénéficie depuis mars 2014 d'une Recommandation Temporaire d'Utilisation dans l'alcoolo-dépendance; il fait cependant encore l'objet d'études pour une autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Un autre médicament, le nalméfène (Selincro), bénéficie depuis septembre 2014 d'une AMM en France, en association avec un suivi psychosocial continu. L'oxybate de Sodium (Alcover), utilisé depuis près de 20 ans en Italie dans la dépendance alcoolique sévère, devrait prochainement s'ajouter à cette liste.

Ces traitement pharmacologiques, encadrés et associés à un suivi psychologique, peuvent constituer une aide efficace dans une démarche de réduction ou de sevrage de la consommation d'alcool.

 

Pour en savoir plus

- Thèmes de santé : Consommation d'alcool. Organisation Mondiale de la Santé

- Dossier thématique : Alcool. INPES.  www.inpes.sante.fr/10000/themes/alcool/index.asp

- Alcool info service 

- Dépendance à l'alcool... Etat de piège. Série d'articles publiés par Le Quotidien du Médecin.